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L'espace composé
Espaces composés |
Une vieille question... |
Je voudrais citer ici quelques passages de "A la recherche d'une Musique Concrète" écrit par Pierre Schaeffer durant les toutes premières années de la musique concrète (que je vous engage vivement à vous procurer et à lire entièrement si ce n'est déjà fait) :
Pierre SCHAEFFER :
A LA RECHERCHE D’UNE
MUSIQUE CONCRETE (éd.
Du Seuil) Toutes les questions sont posées, tous les problèmes sont abordés, il ne reste qu'à faire des choix... |
la question des situations d'écoute, |
maîtrise possible par l'auteur de ce
qui est réellement entendu |
déroulement |
réécoute possible |
rapports
entre l'auditeur et l'œuvre |
|||
fixé |
indépendant |
"interactif" |
||||
Domestique | à condition que l'auditeur respecte le
fonctionnement implicite du support et du dispositif de
projection |
oui, mais l'auditeur a le choix de n'écouter qu'une
partie,
d'interrompre n'importe quand etc. |
possible (lecture en boucle, radio) |
CD-Rom, Internet et attitudes générales avec le support |
oui |
appropriation |
Concert | si le support comporte moins de canaux
que ceux qui sont utilisés pour la projection
et/ou s'il y a modification par un intermédiaire : non |
oui |
non |
non |
non, ce qui est produit à chaque concert est différent |
intercalation d'un médiateur |
si le format du support correspond
à celui de la projection : oui
|
oui |
"transmission" directe |
||||
Séances | oui, à l'intérieur du cadre défini
par l'œuvre |
oui |
non |
non |
||
Installations | oui |
généralement non |
généralement oui |
oui ou non |
oui, mais chaque écoute est généralement différente |
exploration |
J'ai utilisé le terme "d'espace composé"* pour qualifier l'espace intrinsèque, celui qui rassemble tout ce que le compositeur détermine par ses actions sur les sons et ses choix compositionnels. Cet espace est fixé sur un support et peut être reproductible à l'intérieur d'un cadre déterminé (voir la fixation). Celui de "composition spatiale" représente quant à lui à la fois l'espace de la composition, là où sont associées et organisées spatialement les masses et les empreintes des objets au sein de la "grille" déterminée par le dispositif de projection et / ou selon les possibilités offertes par la technique de projection choisie et aussi les caractéristiques spatiales des objets sonores eux mêmes, les critères d'espace, masse spatiale et empreinte spatiale. Cette continuité de sens spatial entre les niveaux les plus infimes des critères d'espace des objets sonores et les grands choix organisationnels de l'œuvre représente à mon avis la raison d'être de la composition complète de tous les aspects perceptibles et fixables du sonore.
* Note : le terme "d'espace composé" est souvent utilisé métaphoriquement en analyse musicale. Il se rapporte ici bien sûr à l'espace réel physique tel qu'il peut être capturé, traité et entendu. L'organisation des canaux
On pourrait définir l'espace composé comme la "toile" sur laquelle sont posées les masses spatiales des objets sonores. Il existe plusieurs manière de considérer cette toile, et donc les types d'objets qui peuvent y être placés, en la découpant ou non en sous ensembles selon le support ou la technique de composition utilisée, ou selon des choix d'ordre artistique. Si cet aspect est en fait issu de certaines contraintes historiques
liées à l'évolution des technologies, il apparaît néanmoins que comme dans
le cas des modes multiphoniques dans les logiciels multipistes
auquel il est en partie lié, il correspond également à des manières différentes
de penser l'espace composer.
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Des noms pour le dire... |
Un certains nombre de termes sont déjà employés
pour décrire le format de réalisation de l'œuvre,
qui correspond généralement au format du support et à un dispositif de projection particulier.
Les nombres, pointés ou non... Les racines n-phoniques |
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L'espace cloisonné |
L'espace
cloisonné représente la manière la plus
simple et la plus ancienne de disposer des objets sonores sur les enceintes formant
un dispositif de projection (le problème ne se pose bien-entendu
qu'à partir de DEUX canaux). Il assigne, d'une manière fixe,
un élément sonore à une piste-support correspondant
à un canal de projection et à une enceinte. Le dispositif bipiste constitue la version la plus simple d'un espace cloisonné. Des projections interprétées en concert basées sur ce type d'organisation spatiale (Bernard Fort, Pierre Henry...) m'impressionnaient beaucoup au début de mon aventure acousmatique par la clarté qui s'en dégageait. L'écoute domestique des œuvres anciennes de Pierre Henry (Coexistence...) représente à beaucoup d'endroits des exemples parfaits de ce type d'organisation-écriture. Mais un espace techniquement cloisonné l'est-il
forcément à l'écoute ? Pas forcément... |
De plus, l'espace cloisonné
n'oblige pas forcément à travailler avec des objets monophoniques, même
si ça a longtemps été le cas.
L'utilisation de plusieurs magnétophones stéréo (manuellement) synchronisés
faite par un certain nombre de compositeurs produisait d'emblée un regroupement par paires,
les cloisons, bien étanches, étant délimitées
par les machines elles-mêmes. Ensuite, l'accès à des supports multipistes (4, 8 ou 16) dans les années 70-80 (oui, c'est venu très tardivement dans les studios d'acousmatique) a permis une plus grande souplesse dans les répartitions : il devenait plus aisé de simuler des enchaînements rapides d'objets par simples fondus d'intensité.
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L'espace imbriqué |
L'espace
imbriqué constitue une alternative élégante, transitoire
et économique à l'espace cloisonné. |
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L'espace unifié |
Enfin, l'espace unifié (je n'ai pas trouvé de meilleur terme pour l'instant, toute proposition est la bien venue !), est pour des raisons techniques tardivement apparu au milieu des années 80 (voir les instruments). Il offre la souplesse nécessaire pour pouvoir juxtaposer et superposer des objets aux masses d'attributs variés et indépendants (techniquement), sans autre limite que les choix compositionnels. C'est
ce type d'organisation que l'on trouve le plus souvent à l'intérieur
d'une réalisation dite "stéréophonique",
où l'acousmate superpose (mixe) librement et dynamiquement
au sein des deux canaux du support des objets stéréophoniques
(au sens acoustique du terme, provenant d'une prise de son stéréophonique
mais aussi résultant de traitements de studio), des objets monophoniques
"centrés" (identiques sur les deux canaux) et des
objets monophoniques monocanal (bipiste). C'est ce qui "manquait" aux espaces précédents et qui longtemps, et avec raison, a fait qu'il était finalement plus efficace pour le compositeur de continuer à adapter un support stéréophonique lors des projections publiques en concert que de s'acharner à placer des sons sur les différentes pistes d'un magnétophone. Il va sans dire que si un système autorise la création d'espace équilibré, les organisations imbriquées et cloisonnées restent à plus forte raison toujours possibles... |
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Exemples |
Pour des raisons techniques ou artistiques, ces trois modes d'organisation peuvent-être
combinés ou juxtaposés. "L'œil tactile"
est une œuvre sur 24 canaux (installation) que j'ai réalisée dans
sa première version (1997)
avec trois échantillonneurs. Les
"Six Études Polyphoniques"
(1996, réalisation "hexadécaphonique" pour le concert, préparatoire
à "L'œil tactile") utilisent les trois types d'organisation
spatiale : "Le Théatre de la Mémoire" (1995) est une installation qui mêle sept canaux vidéo et quatorze canaux audio répartis en îlots indépendants (voir le schéma d'implantation présenté dans les dispositifs) : l'espace total est "géographiquement" découpé en six zones (2 mono, 2 stéréo et 2 quadri). Le cloisonnement est visible et correspond à des propositions sonores bien individualisées : leur relative autonomie ou leur mélange dépend des déplacements et intentions des visiteurs - spectateurs. |
La fixation
En voulant maîtriser et composer le son entendu en dehors du standard stéréophonique, on se heurte immédiatement au problème de sa reproductibilité : quels sont les aspects du son que j'entends que je peux reproduire, quelle est la marge de variations acceptable à l'intérieur de laquelle je reconnais mon œuvre et au delà de laquelle je n'accepte plus qu'elle puisse exister ? Vouloir intégrer l'espace au même titre que tout ce
qui est entendu n'est en fait que le révélateur de la difficulté inhérante
à toute sono-fixation et met en évidence l'existence de multiples degrés
dans le rapport entre fixation et reproductibilité. |
Type 1 : la fixation intégrale |
... est rare. Elle se produit lorsqu'il n'y a pas de variation
significative entre ce qui a été réalisé et ce qui est donné à
entendre, lorsque la partie dévolue à l'espace extrinsèque
est intégrée dans l'espace intrinsèque (voir les
quatre espaces). |
Type 2 : la fixation forte |
admet un certain taux de variabilité
à l'intérieur d'une démarche de fixation exigeante. C'est le cas de la démarche multiphonique en
projection directe. |
Type 3 : la fixation souple |
correspond à la réalisation fixée d'un support, destiné
à être écouté dans des conditions qui représentent en
principe une marge
de variations acceptables, MAIS, contrairement à la fixation forte,
où il existe une possibilité importante que l'utilisateur ou un tiers s'écarte de ce cadre
prévu. |
Type 4 : la fixation faible |
intègre
dans son principe même les causes de sa variabilité
: les musiques instrumentales "spatialisées", les "musiques
mixtes" qui font intervenir des traitements en "temps réel", mais
aussi, comme dans le type 3, la projection interprétée lorsqu'elle
est érigée en principe. |
Type 5 : la fixation floue |
fait
se rejoindre apparemment et paradoxalement les types 1 et 4, dans
le sens où : |
Cette fixation floue, on la rencontre déjà, à faible dose, lorsqu'on travaille avec des instruments MIDI et qu'ils intègrent dans la facture du son ou le contrôle de certains paramètres des commandes aléatoires (module "Sample & Hold" basé sur du bruit blanc) ou chaotiques (modulations en cascade par exemple). L'échelle à laquelle ces variations interviennent est généralement non significative pour la structure (variations d'allure d'un entretien, distribution des fourmillement d'une trame...), et la fixation définitive de ces micro-aléas par capture du signal en aval, si elle a lieu, n'en change pas la perception. Appelons là, dans ce cas, de "niveau 1". Ceci peut par contre aller beaucoup plus loin avec des systèmes
de génération des commandes MIDI (notes, contrôleurs)
ou du son synthétisé en temps-réel. Dans ce cas, c'est non
seulement l'aspect, la morphologie de certains sons qui peut différer
d'une fois à l'autre, mais aussi le moment précis des apparitions,
le choix du son qui est produit, les enchaînements structurels etc... et là, nous atteignons le "niveau
2". Enfin, un troisième degré ("niveau
3") fait intervenir un deus ex machina : le public
lui-même. |
L'interactivité
L'étude rapide de quelques types d'interactivité dépasse bien entendu le cadre de l'espace puisqu'il concerne tous les aspects du son, mais ce dernier peut être considéré comme un aspect privilégié pour relier le geste ou le corps avec les autres critères sonores et le lieu (dans le cas des installations), ce qu'on pourrait appeler l'espace du geste et l'espace du corps.
|
L'interactivité domestique |
La formule domestique est d'une certaine manière une des plus "définitive"
qui soient,
puisque
l'acousmate donne une autonomie totale à l'œuvre en distribuant
(ou en transmettant pour la radio ou Internet en streaming) le support
sur lequel elle a été fixée (DVD) ou les données (fichier) : son écoute est directe
et ne nécessite aucun intermédiaire, aucune action de modification
durant la lecture (voir la
fixation). L'auteur peut aussi tirer parti de cette situation en déléguant
à l'auditeur
une partie de la responsabilité du rendu sonore, en l'impliquant
de manière plus ou moins profonde dans la matérialisation du projet
artistique. L'aspect visuel, la plupart du temps nécessaire
pour permettre l'interaction avec le dispositif, peut être plus
ou moins développé et réaliser une véritable œuvre audio-visuelle. Exemples (stéréo) : |
L'interactivité dans les installations |
Loin de moi la prétention de faire une présentation
exhaustives des possibilités d'interaction dans ce domaine ! L'autre différence, importante pour nous, est
que l'auditeur est généralement mobile et le dispositif de projection
non limité aux standards domestiques.
|
Son / Écriture / Composition
En acousmatique, contrairement à la musique transmise par notation, il n'est
pas facile de distinguer ce qui serait un niveau du son, un niveau "de
l'écriture" et un niveau de la composition : ce qui relève de l'objet ou
de la "structure". Traditionnellement, le terme de composition fait référence
à l'œuvre elle même - «c'est une composition» - ou encore à sa forme temporelle
globale - parties, mouvements, sections... -.
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Objet/Structure |
Plutôt que de mal paraphraser ce que d'autres
ont parfaitement formulé, je préfère laisser la parole à Michel Chion (Guide des Objets Sonores, page 56) : |
Les "n'importe quoi" de l'espace |
Je cite à nouveau la phrase de Michel Chion
(oui, encore lui...) mise en introduction du site, qui décrit merveilleusement me semble-t'il où se situe le sens
compositionnel dans notre "art haut-parlant" (selon
la formule d'Alain Savouret) : «
La musique du son, c'est lorsque n'importe quoi, absolument n'importe
quoi dans sa substance est susceptible de devenir un signifiant fondamental
de l'œuvre : une brisure, un pli, un éclat, un a-coup dans le tracé
du son, un bombement sur sa surface... » Pour moi, tous les critères du son, c'est à dire tous les aspects du sonore qui sont perceptibles, reproductibles, et donc "compositionnables", participent de ce n'importe quoi, y compris bien entendu les caractères spatiaux, masses spatiales et empreintes spatiales, et ce quel que soit le format de réalisation stéréo-, penta-, hexadécaphonique ou autre. Cette sensibilité à tous les aspects du son s'oppose
au réductionnisme qui est très souvent associé à l'idée que l'aspect
spatial soit composable. Mais ces deux attitudes ne sont pourtant
pas exclusives et peuvent dans une certaine mesure être complémentaires.
|
Écriture ? |
Isoler la dimension spatiale d'une œuvre, comme on isole très (trop ?) souvent la dimension mélodique ne me semble pas être très pertinent dans un art des sons, autrement que pour mettre en évidence certains aspects de leur facture ou comme un élément d'analyse parmi d'autres. La question qui se pose est sur quel aspect de
quel critère focaliser l'attention, et il est à craindre que l'on
ne se retrouve encore une fois face aux aspects les plus visibles,
à savoir les plus faciles à représenter : le site de la masse
spatiale et ses variations (bis). Pourtant, l'espace ne se réduit pas à cette partie
émergée de l'iceberg, pas plus que le corps d'un objet sonore n'est
limité à sa hauteur tonale (lorsqu'elle existe). Que l'on ne se méprenne pas : il me semble extrêmement
intéressant et important de pouvoir analyser cette partie là des
œuvres. Les écritures
acousmatiques sont extrêmement diversifiées, et le passage des aspects
spatiaux du statut de décoration à celui de critères à part
entière change l'équilibre des compositions. |